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Nous utilisons seulement 10% de notre cerveau : info ou intox ?!

Par Nejma Belkhdim

On estime que la plupart des êtres humains n'utilisent que 10% de la capacité de leur cerveau. Imaginez si nous pouvions accéder à 100%...". Voici ce que l’on entend dans la bande d’annonce du blockbuster “Lucy”, de Luc Besson. Dans ce film, une jeune femme, interprétée par Scarlett Johansson, développe des pouvoirs mystiques grâce à une drogue qui libère les 90 % du cerveau auparavant inaccessibles. Vous avez, vous aussi, peut-être entendu dire que nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau. Et que si nous pouvions libérer le reste de notre potentiel cérébral, nous pourrions faire bien plus : apprendre une langue en 2 heures, maîtriser un instrument de musique en un temps record, etc. Au risque de vous décevoir, sachez que cette croyance est totalement fausse ! Les progrès technologiques en matière d’imagerie cérébrale appuient la recherche scientifique qui ne cesse de nous démontrer que nous utilisons tout notre cerveau, tout au long de la journée et même pendant le sommeil.


Aux Pays-Bas, 42 % des enseignants du primaire et du secondaire ont répondu “vrai” à l’affirmation “Nous utilisons 10% de notre cerveau”.

Cette croyance selon laquelle notre cerveau est sous-exploité ne touche pas seulement la culture populaire. Elle est également ancrée chez les professionnels de l’éducation. En 2012, dans une recherche publiée dans Frontiers in Psychology, des chercheurs anglais et néerlandais ont mené une étude afin de faire un état des lieux des connaissances sur le cerveau. Près de 200 enseignants du Royaume-Uni et des Pays-Bas ont répondu à l’enquête. Aux Pays-Bas, 42 % des enseignants du primaire et du secondaire ont répondu “vrai” à l’affirmation “Nous utilisons 10% de notre cerveau”.


Cette fausse croyance sur le fonctionnement du cerveau a un nom : c’est ce que l’on appelle un “neuromythe”. Un neuromythe est une croyance erronée se propageant sur le fonctionnement du cerveau. Il s’enrobe d’un jargon scientifique et trouve sa source dans des recherches dont les résultats ont été mal interprétés ou déformés. De là, une enveloppe mythique diffusée par les croyances populaires donne naissance à un neuromythe. Il en existe de nombreux, recensés notamment dans l’excellent livre d’Elena Pasquinelli, chercheuse associée à l’institut Jean Nicod, Mon cerveau, ce héros : mythes et réalité.


Des preuves scientifiques difficiles à trouver


L’étonnante histoire de Phineas Gage


Toutes les régions cérébrales jouent un rôle dans notre capacité à percevoir, sentir, penser, apprendre ou encore parler. C'est pourquoi toutes les régions du cerveau peuvent, si elles sont endommagées, potentiellement causer un déficit mental ou physique. Après une lésion, même minime, certaines fonctions cérébrales peuvent être temporairement ou définitivement altérées.

En 1848, alors qu'il n'avait que 25 ans, Gage travaillait comme contremaître pour la construction des chemins de fer dans le Vermont, aux États-Unis. Gage fut gravement blessé par une barre de fer entrant par sa pommette gauche et sortant par le haut de sa tête. L'accident a endommagé les connexions entre le cortex frontal (en charge du contrôle cognitif et des fonctions exécutives) et le système limbique (impliqué dans la régulation des émotions).

Les dommages causés par l’accident ont profondément altéré sa personnalité, sa capacité à comprendre et à suivre les normes sociales, ainsi que ses aptitudes de raisonnement. Les blessures de Gage ont fourni l’une des premières preuves que la totalité des zones cérébrales étaient actives et nécessaires au fonctionnement optimal du cerveau.


Ce que nous révèle la neuroimagerie


Les techniques d'imagerie cérébrale, utilisées pour « photographier » l’activité du cerveau ont permis de démystifier complètement cette croyance. Une technique courante, appelée imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), permet de mesurer l'activité du cerveau pendant qu'une personne effectue différentes tâches. Toutefois, en fonction de l’activité réalisée, certaines régions s’activeront plus intensément. Les images récoltées nous montrent les variations d’intensité de l’activation cérébrale selon les zones.

Des chercheurs britanniques de l’Imperial College London, ont publié en 2014 dans The Journal of Neuroscience, une étude montrant l’étendue de l’activité cérébrale d’un individu faisant un choix. Il apparait que même pour une tâche aussi simple et quotidienne, une immense majorité du cerveau est active. Sur les clichés d’IRMf, l’absence de coloration de certaines zones ne signifie pas que celles-ci ne sont pas actives, mais simplement qu’elles le sont moins. A ce jour, aucune étude scientifique n’a démontré l’existence d’une zone cérébrale silencieuse tout au long de la vie. La totalité du cerveau est constamment mise à contribution par les multiples tâches réalisées au cours d’une journée.


Retour aux sources...



L’origine de ce neuromythe est difficile à déterminer, le mythe circulant depuis plus d’un siècle. Cette croyance est souvent attribuée au grand psychologue américain du XIXe siècle, William James. Celui-ci a exprimé une idée similaire dans son texte de 1907, The Energies of Men, selon laquelle "nous n'utilisons qu'une petite partie de nos ressources mentales et physiques". Tandis que d'autres l’attribuent à Albert Einstein. Mais il n'y a pas la moindre preuve que l'un ou l'autre de ces scientifiques aient jamais défendu une telle idée.


Le mythe a probablement été nourri, malgré elles, par des études scientifiques comme celle menée par Karl Lashley, qui entraîna des rats à retrouver leur chemin dans un labyrinthe. Son objectif était d’observer ce qu’il advenait de cet entraînement après l’ablation de 58% du cerveau des rongeurs. Il a montré qu’ils étaient toujours en capacité de réaliser des apprentissages simples. Cette étude pourrait laisser penser que la partie retirée du cerveau chez les rats était inutilisée. En réalité, les résultats ont été déformés et simplifiés à l’excès, puisque Lashley lui-même notait une diminution des performances.


Si l'origine précise de ce mythe reste un mystère, les preuves qu'une telle croyance est erronée sont bien réelles. La pop psychologie a largement contribué à la diffusion de ce mythe. Par exemple, dans son livre "Comment être deux fois plus intelligent", Scott Witt écrivait : "Si vous êtes comme la plupart des gens, vous n’utilisez que 10% de votre intelligence." Vous en avez ici un exemple, mais malheureusement, les neuromythes sont légion ! On revient vite pour vous en parler.



Références :


Dekker, S., Lee, N. C., Howard-Jones, P., & Jolles, J. (2012). Neuromyths in Education: Prevalence and Predictors of Misconceptions among Teachers.Frontiers in psychology,3, 429. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2012.00429


Pasquinelli, Elena. Mon cerveau, ce héros: mythes et réalité, 2015.


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