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Le Flow

L'équilibre psychologique optimal à atteindre !

Par David Chainon
"Les individus sont tellement intensément impliqués dans une activité que rien ne semble autrement importer, l'expérience elle-même étant si agréable, que les gens la font même à un grand coût, dans l'intérêt fin de la faire." (Csikszentmihalyi, 2004, traduction libre).

Le Flow, dont une traduction française est l’expression "expérience optimale", est un concept développé par Mihaly Csikszentmihalyi (1989, 1990, 2001), issu du champ de la psychologie positive qui s’intéresse aux racines du bien-être. La conceptualisation du Flow a pour origine une question : quelles sont les conditions qui caractérisent les situations dans lesquelles nous avons le sentiment d’être dans le plus bel instant de notre vie ? (Heutte, 2008). L’auteur s’est donc tourné vers tout un ensemble d’individus investis dans des activités très diverses, comme le sport ou la musique, au point de consacrer tout leur temps et leur énergie dans leur passion. Un point central apparaît lorsque l’auteur interroge ces personnes : dans la réalisation de leur passion, ils ne cherchent rien d’autre que le plaisir ressenti durant ces instants.


Le Flow est alors défini comme un état mental correspondant à une profonde implication dans une activité pour laquelle nous ressentons un fort intérêt. Elle est décrite comme un moment de bien-être où l'activité se réalise avec fluidité et efficacité (Csikszentmihalyi, 1990). C'est un équilibre entre le challenge né de l'objectif à atteindre dans l'activité et les compétences à mettre en oeuvre pour y parvenir.


Cet état mental a des conséquences sur l'individu sur le plan cognitif et émotionnel. La perception consciente du temps est modifiée, l'attention est presque totalement investie dans l'activité, l'individu tenant nettement moins compte d’autrui, et la sensation sur les besoins physiologiques primaires, tels que la fatigue ou la faim sont moins ressentis. D'après Fenouillet (2016), l'individu déploie ses capacités au maximum sur l'activité qui a engendré cet état de Flow. L'expérience de Flow est décrite par Heutte (2011) comme une expérience autotélique, dans le sens où le plaisir que ressent l'individu est issu de l'activité elle-même.


Les propriétés du Flow


À partir de ses travaux expérimentaux, Csikszentmihalyi (1990) a pu définir plusieurs propriétés de l'expérience de Flow. Des conditions sont notamment nécessaires dans l'interaction entre l'individu et l'activité pratiquée pour engendrer l'état de Flow. D’une part, l’activité doit présenter un challenge optimisé par rapport aux compétences de l’individu. Ensuite, les objectifs à atteindre doivent lui paraître clairs. Enfin, l’individu doit avoir un retour régulier sur ses actions par le biais de feedbacks interactifs fréquents tout au long de l’activité, afin de lui permettre d’ajuster ses actions et optimiser ses chances de réussite. Si les conditions sont remplies pour faire apparaître l’état de Flow, celui-ci se manifestera à l’individu par un état cognitif et émotionnel particulier, dont les caractéristiques énoncées par Csikszentmihalyi (1990) sont énoncées dans le schéma ci-dessous.

Schéma ci-dessus : Synthèse des caractéristiques proposées par Csikszentmihalyi (2004, traduction libre) énoncées par Heutte (2006)


Un état d'équilibre entre challenge et compétences


Si les compétences de l'individu sont ajustées par rapport à l'objectif fixé, autrement dit si celles-ci ne sont ni insuffisantes ni sous évaluées, alors l'expérience du Flow peut survenir. L'individu atteint alors un optimum d'activation. D’après Déro & Heutte (2008), les aptitudes de l’individu sont pleinement optimisées et il obtient alors de meilleures performances (Jackson & Csikszentmihalyi, 1999 ; Demontrond-Begr & Fournier, 2003), se montre plus créatif, a une meilleure estime de soi et voit son niveau de stress diminuer (Csikszentmihalyi, 2004).


Cependant si le challenge est trop faible compte tenu des compétences déployées, l'individu sera peu stimulé. De même, si le challenge est trop important par rapport aux compétences de l'individu, celui-ci ne sera pas stimulé. Dans les deux cas, l'expérience de Flow ne pourra pas survenir.


Csikszentmihalyi a établi des mesures à partir de sa conception du Flow par l'ESMExperience Sampling Method ») (Csikszentmihalyi & LeFevre, 1989), qui consiste à solliciter les participants aléatoirement afin qu'ils répondent à une série de questions. Il a ainsi a pu empiriquement mettre en évidence le Flow. Les séries de questions permettaient aux expérimentateurs de savoir si les participants ressentent l'activité en cours comme un challenge et s'ils pensent avoir les compétences pour réussir cette activité. Le contexte vécu par les participants a pu alors être classé en 4 catégories :


1. Contexte de Flow : les compétences atteignent l'optimum, car le challenge est élevé mais les compétences de l'individu déployées au maximum seront suffisantes pour parvenir à l'objectif

2. Contexte d’anxiété : les compétences sont insuffisantes pour permettre à l'individu de parvenir à l'objectif

3. Contexte d’ennui : les compétences sont trop importantes et l'individu parvient à l'objectif trop aisément

4. Contexte apathique : le challenge est faible mais les compétences le sont également

Schéma ci-dessus : La position du Flow comme ajustement entre le challenge et les aptitudes. Le Flow se situe alors entre un sentiment d’anxiété lorsque le challenge est trop important par rapport aux aptitudes déployées, et un sentiment d’apathie lorsqu’au contraire, ce sont les aptitudes qui sont trop élevées compte tenu du niveau de challenge (Heutte, 2006).


Ainsi, Csikszentmihalyi & LeFevre (1989) ont pu observer dans quelles circonstances le Flow pouvait apparaître et à quelle fréquence. Ils ont pu notamment démontrer que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, le Flow apparaissait plus fréquemment dans un contexte de travail que dans un contexte de loisir. Le Flow procurerait une récompense intrinsèque à l'individu qui lui donnerait ainsi un désir important de reproduire la situation. Cependant, étant donné que nous repoussons toujours plus loin le niveau de difficulté de nos challenges, pour que le Flow se manifeste, nous devons de même ajuster le niveau de nos compétences (Fenouillet, 2003). De ce fait, l'expérience de Flow n'est pas si simple à produire, mais nécessite un développement continu de nos compétences.


Les contextes d’étude du Flow


Le Flow a tout d’abord été étudié par Csikszentmihalyi dans le domaine sportif. Il s’intéressait à l’état émotionnel des grands sportifs en situation de compétition, lorsqu’ils ressentent l’extase de la victoire ou de l’atteinte de l’objectif fixé (Heutte, 2006). Les nombreux travaux qui ont été publié sur l’étude du Flow dans ce contexte ont permis de mettre en évidence 3 situations dans lesquelles cet état est ressenti (Demontrond et Gaudreau, 2008, cité par Heutte, 2006).


Le premier cas de figure où le Flow peut émerger, apparaît lorsque le sportif a le sentiment que ses aptitudes sont suffisantes compte tenu du challenge de l’épreuve, ce qui induira de la motivation à atteindre l’objectif (Jackson & Csikszentmihalyi, 1999). Deuxièmement, le Flow émerge dans le sport lorsque l’athlète est pleinement immergé dans la réalisation de sa performance (Jackson & Roberts, 1992). Enfin, le Flow émerge dans la situation où le sportif exécute des mouvements exceptionnels; celui-ci aura alors le sentiment que sa performance est à l’image de son niveau personnel (Heutte, 2006).


Le Flow a également été étudié au travail notamment par Csikszentmihalyi et LeFevre (1989) puis par la suite par Bakker (2005), qui définira le Flow au travail comme une situation dans laquelle le travailleur fera l’expérience de courtes sessions de Flow avec pour caractéristiques « l’absorption » ou concentration dans la tâche, le plaisir du travail et de la motivation intrinsèque (Heutte, 2006).


Le Flow a également fait l’objet de plusieurs études dans le contexte éducatif notamment en rapport avec la motivation à apprendre (Rathunde & Csikszentmihalyi, 2005) ou encore dans le but de comparer des méthodes pédagogiques spécifiques (Csikszentmihalyi, Schneider & Shernoff, 2003). L’enjeu est ici de taille dans un domaine où l’objectif est de comprendre la méthode éducative qui permettra de faire émerger un état de Flow susceptible d’induire des performances d’apprentissage optimales.


Le Flow dans le domaine des TIC est particulièrement intéressant pour la compréhension de ce qui amène les utilisateurs à s’investir dans des activités numériques. Il apparaît dans plusieurs études que la motivation et le Flow sont des facteurs majeurs permettant d’expliquer l’utilisation des technologies numériques (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000).


La conception d’un jeu vidéo s’appuyant sur le concept du Flow : le jeu FlOw (Chen & Clark, 2006)


Comme nous l’avons présenté précédemment, un équilibre entre le niveau de difficulté de l’activité et les compétences de l’individu est crucial pour faire émerger le Flow. Cette condition pour l’apparition de l’expérience de Flow a inspiré des travaux de recherche dans le domaine des jeux vidéo. La thèse de Doctorat de Jenova Chen (2007) à l'Interactive Media Division de l’École de Cinéma et de Télévision de l'Université de la Californie du Sud a porté sur cette caractéristique du Flow et sur son intégration au sein d’un jeu vidéo. Chen a développé un jeu vidéo intitulé FlOw à partir du logiciel Adobe Flash et l’a ensuite publié gratuitement sur Internet. Après sa diffusion gratuite en avril 2006, ce jeu vidéo a eu un succès considérable sur le Web avec près de 700000 téléchargements enregistrés en Juillet de la même année. L’accueil très positif de FlOw et son aspect innovant ont abouti à des partenariats entre la compagnie de développement du jeu créée par Chen, la « thatgamecompany » et l’entreprise Sony pour la publication d’une version plus perfectionnée sur la console PlayStation 3.

Illustration ci-dessus : Logo du jeu FlOw développé par Jenova Chen (That Game Company, 2006)


L’objet de cette recherche part d’un constat sur l’adaptation du jeu à l’utilisateur. Malgré le succès des jeux vidéo, l’auteur constate que la majorité des jeux publiés ne sont pas adaptés à un public suffisamment large. Les jeux vidéo sont alors pour la plupart inachevés par les joueurs, qui ne parviennent pas à atteindre les objectifs présentés. Or, comme nous l’avons vu précédemment dans le concept du Flow, l’optimisation entre la difficulté de la tâche et les aptitudes d’un individu est cruciale pour le faire émerger. Si l’activité semble trop difficile pour l’individu compte tenu de ses capacités, il ressentira de l’anxiété vis-à-vis de l’activité, ce qui l’invitera à ne plus la poursuivre l'expérience. De même, si l’activité semble trop évidente pour l’individu, il fera l’expérience d’un sentiment d’ennui, qui mènera très certainement également à l’arrêt de l’activité. Cette problématique est fondamentale dans le développement d’un jeu vidéo et pour sa réussite commerciale, mais semble encore aujourd’hui insuffisamment considérée pour optimiser l’expérience. C’est pourquoi Chen a proposé une solution en développant un jeu vidéo, le jeu nommé FlOw, en intégrant un algorithme permettant d’adapter de façon interactive le paramètre de difficulté en fonction de l’activité du joueur. Nommé « ajustement dynamique de la difficulté » (DDA pour,Dynamic Difficulty Adjustment), cette solution permet de garantir l’équilibre entre les compétences du joueur et la difficulté du jeu, et ainsi favoriser l’émergence et le maintien du joueur dans l’état de Flow, quelques soient ses performances et ses aptitudes.


Références


Chainon, D., (2017). L’effet de l’expertise sur l’expérience-utilisateur dans le cadre de l’utilisation des Serious Games, Université Paris-Nanterre.


Chen, J. (2007). Flow in games (and everything else) .Community. ACM, 50 (4): 31-34, 2007.



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